lundi 18 février 2013

Des p'tites baies, des p'tites baies, encore des p'tites baies!


Les "Blueberries". Elles sont le "super fruit" dont les tasmaniens s'enorgueillent, un concentré de vitamines aux vertus antioxydantes (et laxatives, si l'on est gourmand comme moi), à consommer sans modération (quoique...), le matin dans votre bol de céréales, accompagnées de viandes en sauce, ou, comme beaucoup les préfèrent, nappées de glace crémeuse aux noix de macadamia (j'ai testé, c'est dé-li-cieux)

Petites, rondes et de toutes les tailles, elles roulent sur le tapis de triage.
Equeutées, sélectionnées, empaquetées dans des barquettes de 125 grammes et de 3 dollars chacune, elles partiront bientôt, direction Melbourne et l'Australie toute entière.
Ces baies là, Trish et Johnny y tiennent comme à la prunelle de leur yeux. Elles sont des heures de travail, d'attention, et le gagne-pain de toute une année.


Le voyage a un prix. Un sacré prix, quand on connaît le coût de la vie australienne.
Et si j'ai tendance à me serrer la ceinture ces derniers temps, il devient vital de trouver du travail.
Quelques CV distribués çà et là, une dizaine de coups de fil, et une annonce sur le bureau de la réception, réclamant l'aide d'une vingtaine de jeunes motivés pour quelques semaines de cueillette.
Tiens, et si j'essayais ça? Je pourrais aisément trouver un emploi dans la restauration, mais j'ai envie de quelques chose de plus original, et de plus typique.
Je n'aurai pas longtemps à attendre; deuxjours plus tard, me voilà embarqué dans la voiture d'un jeune australien, direction Holwell et une petite exploitation familiale perdue dans la campagne tasmanienne, à cinquante kilomètres de Launceston.



"L'air est encore frais ce matin, l'endroit désert et silencieux..."
                                  


 

Jeune papa en devenir de vingt deux ans, David sera mon chauffeur. Il a l'air sympathique mais n'est pas vraiment bavard; nos conversations se résument la plupart du temps à quelques banalités sur le temps qu'il fait, qu'il fera, et deux trois formules de politesse quotidiennes.
"Thanks David for picking me up.
- That's all good Ben."
(That's all good, that's all good...Mais fais des phrases nom de d...!)


L'air est encore frais ce matin, l'endroit désert et silencieux, et une fine rosée perle sur des grappes de baies généreuses. Bientôt, une silhouette se dessine entre les rangées d'arbustes; c'est Johnny qui vient à ma rencontre.
Petit, trapu, la démarche un peu claudicante - la poignée de main ferme et l'accent du terroir, il m'entraîne bientôt dans les quelques hectares de sa propriété où nous resterons la matinée, à passer en revue les techniques de cueillette et à goûter les différentes variétés de baies.
Rose, Eliot, Brigitte,...Elles se ressemblent toutes, et pourtant, les goûts et les textures ne sont jamais les mêmes.
Le saint Graal de la baie? La variété Denise, ferme et sucrée aux arômes de vanille, la plus convoitée sur le marché, la plus difficile à cueillir aussi (sa texture fine la rend beaucoup plus fragile que les autres)
Johnny aime son métier, je le lis dans son regard et dans la façon qu'il a d'en parler. Il pourrait continuer des heures durant que ça ne me dérangerait pas...Si je comprenais plus d'un mot sur deux!
















       A droite en forme de grelot, la variété Denise

Certaines sont parfois aussi grosses que le pouce!

Premier arrivé, premier servi. Après négociation des termes du contrat et l'exposé de mon voyage australien dans un anglais un peu plus académique, nous nous mettons à la tâche, David et moi.
Les premières heures sont plutôt amusantes; le job est nouveau, les baies délicieuses et l'ambiance de travail agréable. Les premières heures seulement...
Deux jours plus tard, la cueillette a un peu perdu de son intérêt, l'ambiance est au point mort...et j'ai mangé trop de baies!

Mais je ne m'ennuierai pas longtemps; 7 petits frenchies me rejoindront bientôt (Laetitia, Ghislaine, Maeva, Victor, Vince, Laurent et Ludovic), suivis de 2 allemands (Sven et Simon), 2 italiens (Luca et Giovanni), un coréen (Cheon Seong), 3 japonaises (Azako, Yui et Madoka) et 2 chinoises (Kinny et Wawa)

Rang derrière: Yui, Giovanni, Cheon Seong, Johnny, David, Moi, Dan, Victor, Laurent, Simon, Sven. Rang devant: Wawa, Kinny, Asako, Luca, Vincent, Maeva, Laetitia, Ghislaine



Balade entre potes sur Hazard Beach -  
Freycinet National Park (Est tasmanien)


                       Hazard Beach

Un seau, puis deux, bientôt quinze...Et plus de vingt cinq la journée pour les meilleurs - Nous cueillons ces petites baies sans relâche, la tête dans les feuilles, courbés sous les branches ou sur la pointe des pieds, six heures durant, quatre à cinq jours par semaine.
Et pour tuer le temps, tous les moyens sont bons: on chante, on se charrie dans toutes les langues, on se lance quelques défis.





           "Eh Sven! T'es où??"


Un seau, puis deux, bientôt quinze...C'est à celui qui en fera le plus.
A ce jeu là, les asiatiques sont impressionnants de concentration et de rapidité, les filles souvent en tête.
Des doigts plus fins? Une certaine dextérité? Plus de patience, sûrement. La mienne est mise à rude épreuve. Bientôt quatre semaines de cueillette et je ne supporte plus ces baies; elles sont partout, sous nos yeux, dans nos mains, dans les seaux que l'on amasse en quantité, dans toutes nos conversations, dans mes rêves...Je les retrouve même écrasées dans les poches de mes shorts, ou même à des endroits encore plus improbables!

Un seau, puis deux, bientôt quinze,... Et tout d'un coup, un cri.
Ah, on dirait que quelqu'un vient de "cueillir" une araignée! Petites et vertes, elles sont nombreuses à se cacher dans les grappes pour y tisser leur toile, mais ne sont pas agressives. Les fourmis, elles en revanche, ne sont pas aussi clémentes; un pied posé par mégarde dans une fourmilière et ce sont des dizaines d'entre elles qui viennent vous piquer les mollets, ou vous mordre, si vous avez le malheur de tomber sur la variété "Jack Jumper", de deux à trois cm de long, la tête pourvue de grosses mandibules oranges, le caractère vraiment teigneux, et qui, non contente de vous martyriser, peut vous "sauter" dessus.









Certains animaux sont mignons, d'autres...beaucoup moins!
 (Tasmanian Pademelon- Huntsman Spider - Baby Wombat)

Merci Laeti pour la photo!!
La liste de nos compagnons de corvée est longue. Et si la majeure partie ne présente pas de réel danger, il en est un qu'il nous faut redouter et éviter à tout prix. Lové au soleil, il lézarde çà et là et ne se déplace qu'en cas de soif extrême, à la recherche d'un peu d'eau, par temps de grosse chaleur...Comme... Aujourd'hui!

"Faites attention où vous marchez, pensez à régulièrement taper le sol de vos pieds; les vibrations le font fuir. En cas de morsure..."

Génial...

Le "King Brown", l'un des serpents le plus venimeux d'Australie (et de la planète apparemment) élit domicile ici même. Mais pas de panique: à quinze cueilleurs un peu trop bruyants, il n'osera pas se montrer.
Et c'est tant mieux. A choisir, je préférais comme compagnie celle des petits wallabies, des pademelons (variété de marsupial plus petite encore) ou des opossums, que Johnny trouve régulièrement coincés dans les cages. Ceux là sont adorables, mais ont un vilain défaut: la gourmandise! (Un opossum peut se goinfrer d'un kilo de baie chaque soir!)



"Je ne le f'rai plus, c'est promis!" - Tasmanian Possum


Et elles arrivent. Ponctuelles, dès les premiers signes de chaleur, ce sont les dernières de la liste, celles dont on se passerait volontiers. Véloces et de la taille d'un taon, elles restent inoffensives mais vous bourdonnent dans les oreilles à en devenir fou.
Une, puis deux, bientôt quinze...Si seulement je touchais une prime pour chaque mouche que je tue!


Déjà plus de midi et je cuis sous les feuilles.
Le soleil ici, est loin d'être amical; il décolore les vêtements et brûle votre peau en moins de temps qu'il n'en faut pour se tartiner de crème solaire. Les locaux ne le savent que trop bien et s'en méfient comme de la peste, mais cela n'empêche guère l'indice UV tasmanien de faire des ravages, et le taux de cancer de la peau d'atteindre malheureusement des sommets ( à en croire Trish ce serait le plus élevé d'Australie).
Trop de soleil? Qu'à cela ne tienne, le temps ici reste imprévisible, la météo a ses caprices.
Voyez ces nuages au loin, pourtant si chétifs; un peu de vent et dix minutes de patience suffiront  à en encombrer le ciel, et bientôt la température chutera de cinq à dix degrés.
Trop de soleil ou pas assez, peu importe, pourvu qu'il ne pleuve.
La pluie. C'est peut être elle que l'on déteste le plus finalement; quelques gouttes, même d'une fine bruine, et votre cueillette menace de  faire de la compote. Quelques gouttes seulement...Et tout s'arrête.
Mais non. Aujourd'hui, ni pluie, ni serpent, ni fourmi revancharde...Et je suis à mon vingt troisième seau!

Seize heures, enfin, le moment que je préfère.
La fin d'une journée de travail et le temps de se retrouver tous à l'auberge de jeunesse; footings près du petit port, baignades dans le lac, parties d'échec à la fraîche sur le balcon et toutes ces soirées barbecues, sushi, et crêpes " à la française"... Après tout ce temps, nous sommes comme une petite famille avec ses habitudes de vie.



Le voyage a un prix. Celui des rencontres éphémères, aussi belles soient elles.
Voilà déjà un mois que je cueille ces satanées baies bleues, pour cinq dollars le seau d'un kilo et demi (c'est dire s'il faut être motivé!), et pourtant je ne regrette rien.
Ces moments partagés avec vous tous, français, italiens, coréens, chinois, japonais, allemands et que sais-je encore, valaient bien tous les dollars d'Australie.
Les Blueberries ne me manqueront pas vraiment...Mais ce sera dur de vous quitter.


I WILL MISS YOU GUYS!!!!
De haut en bas, dans le sens des aiguilles d'une montre: Vince, Azako, Sven, Ghislaine, Ludovic, Jeanette, Laeticia, Paulie, Simon, Maeva, Victor, Adrian (le doyen), Laurent, Quentin et Alicia

mercredi 16 janvier 2013

Il reste toujours le canapé...

La piste est courte, l'atterrissage un peu brutal.



Avant de continuer mon voyage vers l'ouest australien, je voulais faire un détour par la Tasmanie et profiter de son climat tempéré. Alors, quand je descends de l'avion après plusieurs semaines de saison aride dans les Blue Mountains, le choc thermique est saisissant: 20 degrés à l'ombre et la pluie qui menace de tomber, ce temps là je le connais bien!
Pourtant, la région ne donne pas l'impression d'être humide; des montagnes pelées, des forêts de conifères, une lande sèche qui s'étend à perte de vue et des incendies dans la région d'Hobart... Sous ses faux airs européens le climat tasmanien reste assez sec.


Somewhere, in the Tasmania's countryside







 


THE DOVE LAKE







Ces fleurs ont un léger parfum vanillé, c'est divin!




Mais je suis content d'être ici; quatre semaines dans les environs de Sydney et je commençais à tourner un peu en rond.
Un seul détail noircit le tableau; l'aéroport est à 15 kms de la ville, et visiblement, le dernier bus en partance pour Launceston l'était dix minutes avant mon arrivée! 20h déjà et il semblerait que je doive marcher un petit peu...
C'est exactement ce qu'a l'air de se dire ce jeune globe trotter qui déambule dans le hall, traînant nonchalamment son sac, l'air un peu hagard. Et quand il croise mon regard amusé, il comprend vite que nous sommes tous les deux dans la même situation.
Des fringues délavées, un accent allemand, une barbe juvénile et un vieux galurin, Jan vit de petites économies, voyage léger, et à l'en croire, dormira peut être ce soir dans un jardin public de la ville sous sa tente bon marché.
Rasé de près, l'apparence soignée et des habits qui sentent la lessive; je fais à ses yeux figure de touriste français, fraîchement débarqué d'un hôtel qu'il n'aurait pas les moyens de se payer.


The Dove Lake - North of Cradle Mountains

Quelques échanges d'anecdotes et de récits de voyage plus tard, nous voilà à l'arrière du van de deux australiens rencontrés sur le parking de l'aéroport, direction le centre ville!
De 15 kms, le trajet se réduit à 3, et nous poursuivons notre route dans les rues de Launceston et le long de la voie ferrée.
Mais quand nous arrivons à destination, l'auberge de jeunesse est close, personne ne réponds au téléphone, et c'est à force de persévérance et de coups tambourinés dans la porte que quelqu'un finit par nous ouvrir.
Pas de clé de chambre ni de note d'accueil? Il semblerait que le réceptionniste ait oublié d'enregistrer ma réservation...Génial!!! (Moi et les hôtels...C'est toute une histoire!)




"Tu peux toujours dormir sur le canapé du salon!" me lance un français, avachit devant la télévision.
Pourquoi pas? Ce sera toujours mieux que de dormir dehors...


La nuit est courte, le réveil un peu brutal.


"Bonjour, bienvenue au Arthouse Hostel, que puis je faire pour vous?"

Elle est souriante, charmante, et elle n'y est pour rien... Mais on dirait  qu'elle va bientôt savoir ce que "râler à la française" signifie!


De gauche à droite: Moi, Simon(Al), Sven(Al),Laurent et Ludovic (Fr) - WINEGLASS BAY




(Mais bon, passé ces petits désagréments... Je n'ai pas trop à me plaindre, pas vrai?)


mardi 15 janvier 2013

Un peu plus au sud

Le confort. C'est fou comme l'on s'y habitue.
Les draps frais d'un grand lit - L'odeur de la lessive - Les parfums de la cuisine ou le moelleux du divan...Et vous avez tôt fait de laisser votre sac dans un coin de la pièce, vos envies de voyage au placard.
 Si je ne pars pas maintenant, c'est sûr, je ne bougerai plus d'ici.



Voilà bientôt plus de dix semaines que je descend vers le sud et partage le quotidien de familles australiennes. Et si  mon anglais s'améliore, la température, elle, ne cesse d'empirer.
De "chaleur tournante" la région est passé en mode "grill",  thermostat "Quarante deux degrés celsius à l'ombre et feux de bush", un record d'après la population locale (la température contraint même les services météo d'ajouter du violet à leurs cartes de climat!)
Et moi? Elle me fait l'impression d'être un rôti assaisonné de crème solaire cuisant dans son jus.
Si je ne pars pas maintenant, c'est sûr, je vais me déshydrater!


Je suis encore loin d'être bilingue, mais j'ai fait quelques progrès. Les mots me viennent maintenant sans réfléchir et je peux tenir une conversation. Il m'arrive même de rêver en anglais la nuit.
Il est temps pour moi de quitter la région et de chercher un travail.
Je commence à connaître le refrain: Je remercie mes hôtes, leur promets de donner des nouvelles, rassemble mes affaires... Et reprends la route.

Je n'ai à l'instant précis aucune idée de ma destination ni de ce que j'y trouverai. Mais c'est là tout ce qui fait cette aventure.
Tout ce dont je suis sûr, c'est que mon voyage continu...Un peu plus au sud.